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Les leçons du projet El Khomri
Les leçons du projet El Khomri
Lise Casaux-Labrunée, professeur de droit du travail, a organisé un colloque sur le si controversé projet de loi El Khomri. Défaut de communication, manque de lisibilité… Elle revient sur les maladresses qui ont pollué le débat.
Comprendre pour Entreprendre : Comment expliquez-vous les difficultés à faire adopter le projet de loi travail ?
Lise Casaux-Labrunée : La réforme du droit du travail en cours est partie d’une observation juste, sa trop grande complexité. Bien que le Code du travail ait été simplifié en 2008, il demeure trop touffu. L'intention était également bonne : le simplifier pour le rendre plus lisible. Le rapport Badinter-Lyon-Caen paru pendant l’été 2015 avait cependant franchi un pas de plus en présentant cette complexité comme un frein à l’embauche, mais cela n’a jamais été démontré. Les employeurs, si le besoin d’embaucher est là, s’ils ont un carnet de commande et des moyens suffisants, embauchent et gèrent cette complexité qui n’est pas propre au droit du travail. Tous les droits sont compliqués : droit fiscal, droit des affaires,… Les difficultés à faire adopter ce projet de loi sont, à mon sens, surtout liées à un manque de méthode et à un processus de réforme particulièrement hésitant.
Qu’aurait-il fallu faire pour rendre les choses plus lisibles ?
Il aurait déjà fallu que le gouvernement montre l’exemple, qu’il respecte lui-même le Code du travail en consultant suffisamment les partenaires sociaux en début du processus ainsi que l’imposent les premiers articles du Code ! Il aurait fallu ensuite une réforme plus lisible dans son contenu. Celle qui est proposée est loin d’être un modèle de simplicité. Elle ne fait qu’ajouter de la complexité à la complexité, en faisant perdre toute crédibilité à l’intention de réforme initiale. Il aurait fallu aussi faire plus de pédagogie pour expliquer en quoi cette réforme était nécessaire, quels en étaient les enjeux et les grandes lignes directrices. Au lieu de cela, chacun y est allé de son commentaire ou de sa réaction sur tel ou tel point de réforme, sans vision d’ensemble.
Y a-t-il eu défaut de communication ?
Oui bien sûr, dès le départ. Et ce défaut de communication a provoqué un manque de confiance qui paraît aujourd’hui difficilement rattrapable. Le gouvernement a perdu d’emblée la confiance des partenaires sociaux en ne les consultant pas suffisamment. Il a perdu la confiance d’une partie des députés de gauche. Le spectacle auquel on a assisté à l’Assemblée nationale au moment de la mise en œuvre du 49-3 est tout de même assez désolant, surréaliste. Le gouvernement avait d’ailleurs promis de ne pas passer en force et finalement il l’a fait. Ce manque de confiance s’est généralisé. Il explique largement les mouvements de rue actuels animés par des manifestants qui sont loin d’avoir tous lu le texte... Au demeurant, ces mouvements perdurent bien que le texte ait été vidé entretemps des dispositions qui fâchaient le plus (barème des indemnités de licenciement notamment).
Sur le fond qu’est ce qui soulève le plus de protestation ?
L’une des lignes directrices du projet est le recentrage du droit du travail sur les accords d’entreprise, au regard des accords de branche et des lois. C’est le fameux article 2 du texte qui fait tellement débat aujourd’hui. Les syndicats sont opposés à cette prévalence des accords d’entreprise, ce qui est assez paradoxal dans la mesure où ce sont eux qui sont chargés de les négocier. C’est comme s’ils n’avaient pas confiance dans leur capacité à faire aboutir des négociations favorables aux salariés au sein des entreprises.
Un point qui a fait monter la protestation dans la rue, notamment chez les routiers, concerne le paiement des heures supplémentaires. Elles sont actuellement majorées de 25 % mais la loi prévoit qu’en cas d’accord collectif, elles pourraient n’être plus majorées que de 10 %.
La modification des conditions des licenciements économiques cristallise aussi les tensions. Pour redonner de la flexibilité aux entreprises, la loi prévoit de les faciliter en cas de difficultés de trésorerie notamment dans les petites entreprises. Dans les entreprises de plus de 1000 salariés qui mettraient en place un plan de sauvegarde de l’emploi avec une reprise de site, la loi autorise par ailleurs à licencier avant le transfert du site au repreneur.
Et la négociation collective ?
C’est effectivement le pari de la réforme, dans la lignée des recommandations du rapport Combrexelle : moins d’interventionnisme étatique et plus de confiance faite aux partenaires sociaux pour élaborer les normes sociales. La difficulté est de trouver les bons équilibres entre la flexibilité souhaitée par les entreprises et la sécurité voulue par les salariés. Concernant le paiement des heures supplémentaires par exemple, les partenaires sociaux auraient la main au sein des entreprises pour négocier des accords. Ils pourraient par exemple accepter des heures supplémentaires moins rémunérées moyennant des contreparties, sur le principe du donnant-donnant.
Les salariés des TPE et PME où les syndicats sont moins présents, ne sont-ils pénalisés par le projet de loi ?
En effet, il ne faut surtout pas oublier les TPE et PME qui fournissent 80 % de l’emploi en France. Divers mécanismes ont été mis en place pour mesurer la représentativité syndicale et faire en sorte que des négociations puissent avoir lieu y compris dans ces entreprises là, mais ce n’est pas encore idéal.
Quelle leçon tirer de cet épisode politique ?
Quel que soit le gouvernement en place, le droit du travail est une chose trop sérieuse pour être réformé de façon aussi hésitante, incertaine. Il y faut plus de méthode, de pédagogie et surtout de confiance dans l’intention politique. Il faut aussi un pilotage mieux identifié. Or là, on ne sait pas trop finalement qui tient les rênes…
Qu’aurait-il fallu faire pour rendre les choses plus lisibles ?
Il aurait déjà fallu que le gouvernement montre l’exemple, qu’il respecte lui-même le Code du travail en consultant suffisamment les partenaires sociaux en début du processus ainsi que l’imposent les premiers articles du Code ! Il aurait fallu ensuite une réforme plus lisible dans son contenu. Celle qui est proposée est loin d’être un modèle de simplicité. Elle ne fait qu’ajouter de la complexité à la complexité, en faisant perdre toute crédibilité à l’intention de réforme initiale. Il aurait fallu aussi faire plus de pédagogie pour expliquer en quoi cette réforme était nécessaire, quels en étaient les enjeux et les grandes lignes directrices. Au lieu de cela, chacun y est allé de son commentaire ou de sa réaction sur tel ou tel point de réforme, sans vision d’ensemble.
Y a-t-il eu défaut de communication ?
Oui bien sûr, dès le départ. Et ce défaut de communication a provoqué un manque de confiance qui paraît aujourd’hui difficilement rattrapable. Le gouvernement a perdu d’emblée la confiance des partenaires sociaux en ne les consultant pas suffisamment. Il a perdu la confiance d’une partie des députés de gauche. Le spectacle auquel on a assisté à l’Assemblée nationale au moment de la mise en œuvre du 49-3 est tout de même assez désolant, surréaliste. Le gouvernement avait d’ailleurs promis de ne pas passer en force et finalement il l’a fait. Ce manque de confiance s’est généralisé. Il explique largement les mouvements de rue actuels animés par des manifestants qui sont loin d’avoir tous lu le texte... Au demeurant, ces mouvements perdurent bien que le texte ait été vidé entretemps des dispositions qui fâchaient le plus (barème des indemnités de licenciement notamment).
Sur le fond qu’est ce qui soulève le plus de protestation ?
L’une des lignes directrices du projet est le recentrage du droit du travail sur les accords d’entreprise, au regard des accords de branche et des lois. C’est le fameux article 2 du texte qui fait tellement débat aujourd’hui. Les syndicats sont opposés à cette prévalence des accords d’entreprise, ce qui est assez paradoxal dans la mesure où ce sont eux qui sont chargés de les négocier. C’est comme s’ils n’avaient pas confiance dans leur capacité à faire aboutir des négociations favorables aux salariés au sein des entreprises.
Un point qui a fait monter la protestation dans la rue, notamment chez les routiers, concerne le paiement des heures supplémentaires. Elles sont actuellement majorées de 25 % mais la loi prévoit qu’en cas d’accord collectif, elles pourraient n’être plus majorées que de 10 %.
La modification des conditions des licenciements économiques cristallise aussi les tensions. Pour redonner de la flexibilité aux entreprises, la loi prévoit de les faciliter en cas de difficultés de trésorerie notamment dans les petites entreprises. Dans les entreprises de plus de 1000 salariés qui mettraient en place un plan de sauvegarde de l’emploi avec une reprise de site, la loi autorise par ailleurs à licencier avant le transfert du site au repreneur.
Et la négociation collective ?
C’est effectivement le pari de la réforme, dans la lignée des recommandations du rapport Combrexelle : moins d’interventionnisme étatique et plus de confiance faite aux partenaires sociaux pour élaborer les normes sociales. La difficulté est de trouver les bons équilibres entre la flexibilité souhaitée par les entreprises et la sécurité voulue par les salariés. Concernant le paiement des heures supplémentaires par exemple, les partenaires sociaux auraient la main au sein des entreprises pour négocier des accords. Ils pourraient par exemple accepter des heures supplémentaires moins rémunérées moyennant des contreparties, sur le principe du donnant-donnant.
Les salariés des TPE et PME où les syndicats sont moins présents, ne sont-ils pénalisés par le projet de loi ?
En effet, il ne faut surtout pas oublier les TPE et PME qui fournissent 80 % de l’emploi en France. Divers mécanismes ont été mis en place pour mesurer la représentativité syndicale et faire en sorte que des négociations puissent avoir lieu y compris dans ces entreprises là, mais ce n’est pas encore idéal.
Quelle leçon tirer de cet épisode politique ?
Quel que soit le gouvernement en place, le droit du travail est une chose trop sérieuse pour être réformé de façon aussi hésitante, incertaine. Il y faut plus de méthode, de pédagogie et surtout de confiance dans l’intention politique. Il faut aussi un pilotage mieux identifié. Or là, on ne sait pas trop finalement qui tient les rênes…
Informations complémentaires
Lise Casaux-Labrunée
Professeur agrégée de droit privé, Lise Casaux Labrunée dirige le Master 2 Droit du travail et de l’emploi et le DU contentieux du travail (formation à distance) de l’Université Toulouse Capitole. Elle effectue ses recherches au sein de l’Institut de droit privé et dirige un projet de recherches sur les freins et résistances au développement de la médiation en France.
Pourquoi la loi El Khomri peut ne jamais passer...
Que va devenir le projet de loi après l'intervention du Sénat ? Lise Casaux Labrunée rappelle le précédent du projet de contrat 1ère embauche, adopté en 2006, mais finalement retiré sous la pression de la rue.
Pour aller plus loin
- " Nouveau Code du travail : évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application ", semaine sociale Lamy, n° spécial sous la direction de Lise Casaux-Labrunée, décembre 2010
- " Simplification et recodification du droit du travail : les liaisons dangereuses " (avec C. Dupouey-Dehan) in " Qu’en est-il de la simplification du droit ? " Actes du colloque de l’IFR Mutations des normes jurididiqes, Université Toulouse Capitole, LGDJ 2010
- Le rapport Combrexelle " La négociation collective, le travail et l’emploi ", novembre 2015.
- Loi El Khomri, le texte intégral du projet de loi