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Vers une procréation « améliorée » ?
Vers une procréation « améliorée » ?
Comprendre pour entreprendre : Dans quel cadre peut-on aujourd’hui avoir recours au diagnostic préimplantatoire (DPI) en France ?
Sophie Paricard : Aujourd’hui en France, seuls les couples susceptibles de donner naissance à un enfant avec une maladie génétique d’une particulière gravité (mucoviscidose, myopathie… etc), diagnostiquée au préalable, ont recours au DPI. Les critères de risque sont très encadrés par le code de la santé publique. Ne sont concernées que les femmes ayant déjà fait une fausse couche pour ces raisons, les parents d’un enfant déjà porteurs d’une maladie génétique ou se sachant déjà malades eux-mêmes. Dans ce cadre, 582 DPI ont été pratiqués l'an dernier par exemple. Mais au-delà, les femmes ayant des difficultés à avoir un enfant et suivies dans le cadre de la procréation médicale assistée (PMA), n’y ont pas accès.
Le projet de loi prévoit-il de faire évoluer cette question ?
L’une des mesures phare déjà adoptée dans cette loi est l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Dans ce cadre, la question de la généralisation du DPI s’est posée, mais elle a été refusée en première lecture. Le gouvernement a mis en avant un risque de dérive vers l’eugénisme, à l’aune de ce qui se passe dans certains états américains.
Les diagnostics préimplantatoires sont autorisés sans restriction aux Etats-Unis ?
Les DPI se pratiquent sans condition médicale, et les médecins vont parfois très loin. Ils font le caryotype de l’embryon et cet examen génétique poussé renseigne le couple sur les risques de contacter des maladies, le gène d’un cancer du sein par exemple. Il donne aussi de nombreuses caractéristiques génétiques de l’enfant à venir.
Ces tests restent très onéreux mais ils peuvent permettre aux parents, à la limite, de choisir s’ils veulent un garçon, une fille et certaines de ses caractéristiques physiques… En France on n’en est pas là.La question fait débat du côté des médecins français. Pourquoi ?
En France, les femmes qui sont dans un parcours de PMA pour faciliter la procréation ne bénéficient pas de DPI, mais d’un tri visuel des embryons par les gynécologues. Or, l’on constate un grand nombre de fausses couches et un taux d’échec élevé, de l’ordre de 60 %. Dans les pays qui généralisent le DPI, le taux de réussite des PMA augmente de 10 à 15 %. Plusieurs médecins, dont le Professeur René Frydman, plaident donc pour la généralisation du DPI pour ces femmes en parcours de PMA ayant déjà vécu une fausse couche, mais sans étudier les chromosomes X et Y pour ne pas choisir le sexe de l’enfant. À l’inverse, des lobbies très conservateurs y sont fermement opposés, ils pointent le risque de dérive vers d’autres dépistages. La question pourrait ressurgir lors de l’examen de la loi au Sénat.
D’un point de vue éthique quel est le débat ?
La généralisation du DPI permettrait pour la première fois de juger de façon globale de la qualité d’un embryon et de décider quels sont les embryons méritant de vivre. C’est une barrière symbolique pour les opposants qui considèrent l’embryon comme une personne ayant vocation à naître. Pourtant, il ne s’agit pas, ici, de faire naitre un enfant sain, mais d’éviter d’implanter des embryons non viables, par exemple les principales trisomies pour lesquelles 95 % des fœtus meurent avant la naissance.
Comment la situation peut-elle évoluer ?
D’un point de vue juridique, la pratique encadrée du diagnostic préimplantatoire en France a déjà montré son efficacité et son caractère raisonnable.
D’autre part, nous avons un diagnostic prénatal très large qui autorise déjà des interruptions médicales de grossesse. Ce ne serait donc peut-être pas tout à fait déraisonnable de les autoriser avant l’implantation de l’embryon. À côté de cela on ne peut pas ignorer totalement le risque de dérive à long terme.
Si la science nous offre un label « Enfant de qualité », est ce que chaque couple ne sera pas tenté d’avoir accès à la PMA pour éviter des maladies à son enfant, quitte à payer ?
Informations complémentaires
Sophie Paricard
Professeur des Universités et habilitée à diriger des recherches à l’Institut universitaire Champollion d’Albi, Sophie Paricard est rattachée à l’Institut de droit privé (IDP) de l’université Toulouse Capitole. Spécialiste du droit de la famille, des personnes et de bioéthique, elle consacre ses recherches au droit de la santé et à la protection des droits des patients.
Faut-il continuer à interdire les tests génétiques ?
Pour aller plus loin
Le projet de loi de bioéthique
Le code de la santé publique encadre précisément l’accès au DPI en France
Regards croisés sur l’embryon, 40 ans après la loi Veil, Avant-propos de Sophie Paricard, Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 2017.