Mieux protéger les enfants
Qui a oublié le visage de Marina, enfant martyre morte sous les coups ? La gouvernance de la protection de l’enfance nécessitait une réforme. Une loi a été votée en mars 2016. A l’initiative de Maryline Bruggeman, un colloque a réuni à Toulouse juristes et professionnels pour un premier bilan.
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Comprendre pour Entreprendre : L’affaire de la petite Marina, décédée en 2009 des suites des coups portés par ses parents, après six ans de maltraitance, a-t-elle permis de prendre conscience de certains dysfonctionnements ?

Maryline Bruggeman : On a accusé les services sociaux d’être responsables de ce drame. Pourtant, a priori ils avaient respecté la loi. La responsabilité de l’Etat a d’ailleurs été écartée par la Cour de cassation. Il y avait eu des signalements et des enquêtes, mais le suivi avait été rendu difficile en raison du silence de l’enfant, des mensonges des parents et aussi de leurs nombreux déménagements. La nouvelle loi, votée le 14 mars 2016, prévoit une gouvernance nationale pour uniformiser les pratiques actuellement très différentes d’un territoire à l’autre.

Quels sont les principaux changements apportés par la loi ?

La loi de 2007 prévoyait que le refus des parents d’adhérer à l’intervention de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) était le critère principal de saisine du juge des enfants. Désormais, il est également possible de saisir directement le juge en cas de danger grave et immédiat, et notamment dans les situations de maltraitance, précise l’article L226-4 du Code de l’action sociale et de la famille.

La nouvelle loi renforce aussi  le rôle de l’Aide Sociale à l’Enfance dans l’accompagnement et le contrôle des mesures de placements. Est-ce un progrès ?

L’élargissement des compétences de l’Observatoire national et des Observatoires départementaux de protection de l’enfance, créés en 2007, est une des mesures phare de la loi. Ces observatoires permettront de mieux connaître les besoins en recensant la population prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, les différents modes de prise en charge, leurs durées, les sources de signalement, et donc de comparer les parcours des enfants et leur évolution. Mais la mise en œuvre de la loi prend du temps. Les derniers décrets sont parus seulement début 2017. Ses effets ne seront donc pas ressentis avant plusieurs mois, délai nécessaire pour réorganiser les services départementaux.

Vous avez organisé un colloque avec des professionnels de la protection de l’enfance et des juristes. Quels ont été les sujets sensibles ?

A été abordée la question des rapports entre les parents, l’enfant et l’ASE, un triptyque complexe. Les mesures de placement judiciaire sont nombreuses, mais la question centrale reste de savoir à quel moment on doit remettre en cause les droits parentaux.

Une des difficultés provient du fait que la protection de l’enfance est une mission de l’Etat et relève du droit public, alors qu’elle affecte les rapports d’ordre privé entre les parents et l’enfant…

Le fait que des droits individuels soient mis en cause par la sphère publique provoque forcément des tiraillements. Initialement, l’Aide Sociale à l’Enfance avait pour rôle d’aider les familles à prendre en charge leur enfant : le leur retirer était considéré comme le recours ultime. Une autre vision des choses s’est développée par la suite, faisant de l’enfant le sujet de la protection, ce qui a conduit à privilégier son intérêt sur celui des familles.

La loi de 2016 met l’enfant et sa stabilité au cœur du système. Dans cette perspective, retirer l’enfant de son milieu familial peut apparaître plus souvent préférable. Pour autant, le Code civil garantit les droits des parents. Il semble donc impossible de remettre ces droits en cause lorsque le défaut de soins qu'on leur repproche trouve sa source dans une situation qui ne leur est pas imputable, telle que leur précarité. 

On a multiplié les modalités de prise en charge pour répondre à des difficultés financières…

La diversité des modalités d’intervention de la protection de l’enfant permet en effet de répondre non seulement aux besoins divers des enfants et de leur famille, mais aussi aux nécessités économiques. L’accueil bénévole et durable, qui consiste à confier l’enfant à un tiers, « si tel est son intérêt et après évaluation de la situation », a été créé à cet effet. Ce dispositif a priori gratuit devrait s’avérer très utile en particulier pour l’accueil des mineurs étrangers et isolés, qui se heurte au  manque de place en hébergement classique. Cependant, cette nouvelle forme d’accueil interroge : comment seront organisés les contrôles sur ces particuliers ? Ne perturbera-t-elle pas les circuits habituels de l’adoption ?

Comment réagissent les travailleurs sociaux à la loi de 2016 ?

Certains pensent que la loi ne va pas assez loin pour les enfants en danger. D’autres estiment, au contraire, qu’elle remet trop en cause les droits parentaux. Les nouveaux textes reconnaissent à l’ASE des pouvoirs importants, notamment s’agissant de ce que l’on nomme « les actes usuels de l’autorité parentale ». Les travailleurs sociaux peuvent se dispenser de l’accord des parents pour autoriser des sorties scolaires, des invitations chez des amis ou prendre un rendez-vous chez le coiffeur, par exemple.

La loi comporte t-elle des lacunes ?

Des ambiguïtés plutôt, notamment concernant les mesures de contrôle que peut prendre le juge, et la place du nouvel accueil bénévole et durable lorsqu’il se confronte aux droits parentaux. L’incidence des nouveaux pouvoirs reconnus à l’Aide Sociale à l’Enfance sur les droits parentaux dépendra de la manière dont les acteurs de terrain et bien sûr les tribunaux appliqueront le nouveau texte. Il faut avoir conscience que tous les dysfonctionnements ne peuvent pas être résolus par la voie législative.

 

Maryline Bruggeman

Maître de conférences en droit privé, spécialisée en droit de l’enfance et de la famille, Maryline Bruggeman travaille sur la protection des enfants, l’autorité parentale, et plus généralement sur la protection des personnes vulnérables comme les majeurs protégés sous tutelle ou curatelle. Elle s’intéresse également aux droits des malades et des étrangers.



En chiffres

10 à 20 décès d’enfants par an dus à la maltraitance, selon les statistiques ministérielles. D’autres études moins officielles parlent plutôt de 30 à 200 cas

290 000 mineurs bénéficiaires de mesures de protection de l’enfance (suivi socio-éducatif à domicile ou placement en famille d’accueil ou foyer)

21 000 jeunes majeurs également bénéficiaires d’une prestation

(source : ONPE, 2014)


Pour aller plus loin

Le rapport faisant suite à l’affaire Marina, analysant les dysfonctionnements et préconisant des réformes

La loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance

« Papa, Maman, l’ASE et moi », programme de la journée d’étude sur l’application de la nouvelle loi, organisée à l’université Toulouse Capitole le 23 mars 2017. Les actes seront publiés prochainement dans le Journal du droit des jeunes.


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